Errances

 

îles

musique : Low & Spring Heel Jack "Hand so small"



- Mais quel drôle de pays que le notre; c'est un pays triste, disait-il.
- Et celui de là-bas ?
- Ici, c'est gris; là-bas, c'est bleu. On a eu le beau, cette année, tout le temps de la vendange. Ici, on n'a point de soleil de tout l'hiver, là-bas ils en ont deux tout le long de l'année. Vous comprenez, ça fait une différence.
On lui disait :
- Deux ?
- Oui, il y a celui qui est dans le ciel et puis celui qui est dans l'eau.
On lui disait :
- Celui qui est dans l'eau ?
- Oui, c'est qu'il y a le lac. Oh ! C'est raide là-bas, c'est encore plus raide qu'ici. C'est une côte au bord de l'eau, c'est comme un côté de baignoire, ça a deux cent mètres de haut. Et la terre n'y tiendrait pas toute seule, mais ils ont fait partout des murs qu'ils ont mis les uns au-dessus des autres, qui la soutiennent; et où ils cultivent la vigne avec des fossoirs, remontant chaque hiver dans des hottes la terre qui est descendue. Ils sont là, voyez-vous, comme sur des marches d'escalier, et ils sont dans l'air, voyez-vous, parce qu'il y a de l'air partout. Il y a au-dessus d'eux l'air qui est bleu, en face d'eux la montagne qui est bleue, au-dessous d'eux le lac qui est bleu. Le soleil vous tape sur la tête, mais il y en a un autre, celui d'en bas, qui vous tape dans le dos. Ca en fait deux : celui d'en haut, qui est en un point, tout rassemblé; celui d'en bas qui est tout cassé en morceaux et éparpillé, parce qu'il y a l'eau qui le balance et en bombarde la côte; ça en fait deux qui chauffent ensemble ; c'est pourquoi ils ont du bon vin.
- Alors tu te plais là-bas ?
- Ma foi, disait Julien Revaz, pas tant : vous comprenez, on a l'ennui de chez soi… Ou du moins pas tant jusqu'à hier, et j'étais content de rentrer…
- Et à présent, tu n'es plus content ?
- Oh ! dit-il, c'est à cause du changement de temps…

Charles-Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas


From a hand
From a hand so large
You feel yourself
Getting smaller



Un panneau indiqua que nous pénétrions en Corrèze. Les toits étaient noirs. La route se tortillait. La nuit collait son nez au pare-brise.

- C'est où ? Merde, c'est où ?

La maison était enfouie au bout d'un chemin, parmi les châtaigniers. Raphaëlle ouvrit le portail. Nous voulions lui faire une surprise. C'était raté.

- Je vous attendais

Nous avons défait les bagages. Vite, un bain.

Paris était très loin. La politique n'existait plus. Raphaëlle lisait le nouveau Simenon. Constant en avait dit du bien dans Demain.

- Je n'étais pas venue ici depuis, pffouh, des années.

La maison appartenait à une de ses tantes. Raphaëlle ne reconnaissait plus rien. Le village était silencieux. Les rares habitants se souvenaient d'elle, petite. Ils demandaient des nouvelles de ses parents. Le matin, une fermière apportait du lait de vache encore tiède. Constant trouvait ça imbuvable. Raphaëlle en avalait des bols entiers.

(…)

Eric Neuhoff, Actualités françaises


 

avant - musique : Slowdive "Ballad of sister Sue" - après