- Mais quel drôle de pays que le notre; c'est un pays triste, disait-il.
- Et celui de là-bas ?
- Ici, c'est gris; là-bas, c'est bleu. On a eu le beau, cette année, tout le temps de la vendange. Ici, on n'a point de soleil de tout l'hiver, là-bas ils en ont deux tout le long de l'année. Vous comprenez, ça fait une différence.
On lui disait :
- Deux ?
- Oui, il y a celui qui est dans le ciel et puis celui qui est dans l'eau.
On lui disait :
- Celui qui est dans l'eau ?
- Oui, c'est qu'il y a le lac. Oh ! C'est raide là-bas, c'est encore plus raide qu'ici. C'est une côte au bord de l'eau, c'est comme un côté de baignoire, ça a deux cent mètres de haut. Et la terre n'y tiendrait pas toute seule, mais ils ont fait partout des murs qu'ils ont mis les uns au-dessus des autres, qui la soutiennent; et où ils cultivent la vigne avec des fossoirs, remontant chaque hiver dans des hottes la terre qui est descendue. Ils sont là, voyez-vous, comme sur des marches d'escalier, et ils sont dans l'air, voyez-vous, parce qu'il y a de l'air partout. Il y a au-dessus d'eux l'air qui est bleu, en face d'eux la montagne qui est bleue, au-dessous d'eux le lac qui est bleu. Le soleil vous tape sur la tête, mais il y en a un autre, celui d'en bas, qui vous tape dans le dos. Ca en fait deux : celui d'en haut, qui est en un point, tout rassemblé; celui d'en bas qui est tout cassé en morceaux et éparpillé, parce qu'il y a l'eau qui le balance et en bombarde la côte; ça en fait deux qui chauffent ensemble ; c'est pourquoi ils ont du bon vin.
- Alors tu te plais là-bas ?
- Ma foi, disait Julien Revaz, pas tant : vous comprenez, on a l'ennui de chez soi… Ou du moins pas tant jusqu'à hier, et j'étais content de rentrer…
- Et à présent, tu n'es plus content ?
- Oh ! dit-il, c'est à cause du changement de temps…
Charles-Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas