J'ai fini par coucher avec Raphaële. Pas le jour où je lui ai rapporté son éventail, mais le lendemain. Pour la déshabiller, il m'a fallu des ruses de guerre à la Clausewitz. Elle portait la robe bleue qu'elle avait le premier soir à Normale, quand je ne l'avais pas invitée à danser. Elle a enlevé sa combinaison et cela a fait un crépitement de court-circuit. Sur ses bras, le duvet était tout hérissé.
- Vous avez faim, vous ?
Je l'ai embrassée sur la nuque, sur les tempes. Sa peau avait une odeur de bébé.
- Non, ça va, merci, dis-je en reprenant mon souffle.
- Moi non plus.
Je cherchai une autre région de son cou où poser mes lèvres. Je revins aux tempes.
Elle avait les plus beaux yeux du monde, ce qui n'est pas si mal. C'était un après-midi, quai des Grands Augustins. La garde républicaine défilait sous ses fenêtres. Sur la chaussée, les sabots des chevaux imitaient à s'y méprendre le bruit d'un moulin à café. Un autobus était sagement arrêté au feu de la rue Bonaparte. Du quatrième étage, la Seine ressemblait à une feuille d'aluminium froissée.
Autour du lit aux barreaux de cuivre, elle avait disposé des bustes dorés sur des chaises de bal. Sur la table de chevet, une carafe d'eau, des livres empilés, le téléphone. Un peu partout, des photos dans des cadres. C'était chez elle. A nouveau, j'ai tiré les rideaux de la chambre. Nous oubliâmes la république.
- Frédéric, vous n'êtes pas raisonnable.
(…)
Eric Neuhoff, Actualités françaises
